Hommage à Iba Der THIAM « Vivre dans le cœur de ceux que nous laissons derrière nous, ce n’est pas mourir

Il y a un an au petit matin, du 1er novembre 2020, je prenais ma plume après une nuit blanche au cours de laquelle j’avais appris le décès de mon père, Iba Der Thiam. Nous savions tous les deux que la probabilité était grande que, quand cet instant tant redouté se présenterait, je sois à des milliers de kilomètres de lui, ce qui m’empêcherait d’assister à ses obsèques qu’il m’avait demandé d’organiser dans les heures qui suivraient sa disparition, afin de respecter les préceptes de l’Islam. 
 

Alors qu’un pays tout entier rendait hommage à l’homme public qu’il était, aux combats qu’il avait menés, à son action de syndicaliste, de professeur, d’homme politique issu de la société civile, et de parlementaire, je décidais de m’exprimer afin de témoigner de l’homme qu’il était dans la sphère privée, dans la cellule familiale, de ce qu’il présentait pour sa famille, et d’entamer mon processus de deuil.

Dans cette note, intitulée « Hommage à un Père qui appartient à toute une Nation », je résumais en ces termes l’image que je gardais de lui à l’heure où les hommages officiels et anonymes se succédaient : « A l’image de sa vie, il s’en est allé discrètement sans fioritures, sans déranger ses proches. Nous perdons un père, un modèle, une personne juste, pleine d’abnégation et ne transigeant pas sur ses principes.

 
C’était un intellectuel, un homme de passion et de combats multiples. Il ne connaissait qu’une ligne directrice : le travail, la rigueur scientifique, le débat d’idées et le respect des personnes qui ne partageaient pas ses idées. La seule compromission qu’il connaissait était intellectuelle, dans le respect des arguments d’autrui et dans le débat d’idées qu’il affectionnait tant.
 

Ceux qui l’ont connu savent que son plus grand défaut était la fidélité et un engagement sans faille, sa résignation à servir les causes qu’il embrassait ou les personnes qu’il soutenait. Certains appelleront cela de la naïveté, voire un manque de clairvoyance, mais il était tout simplement une personne entière, sans demi-mesure, ne sachant faire de concession dans ses engagements et repoussant tout compromis dans ces idéaux. »

Peu de temps après sa disparition, je revenais au Sénégal et découvrais avec émotion qu’il était toujours présent, dans le cœur de ceux qui avaient croisé son chemin, que cela soit dans sa vie professionnelle, dans sa vie de tous les jours ou dans son combat contre la maladie.

 
Les témoignages multiples auxquels j’assistais, venant de ses amis, de ses collègues universitaires, des étudiants qu’il avait formés, de ceux qui avaient siégé avec lui à l’Assemblée nationale, de dignitaires religieux, de personnes appartenant au milieu associatif, d’inconnus croisés dans la rue, m’ont permis de réaliser à quel point il avait marqué la vie de ses concitoyens et de son pays qu’il affectionnait tant. Je réalisais que le travail accompli laissera une empreinte indélébile.
La convergence des idées et des propos le concernant, nous donne plus de détermination, pour sauvegarder son héritage et véhiculer sa pensée. 
 
A titre personnel je retiendrai de lui, la dignité humaine et le respect du savoir. Dans mon allocution prononcée, lors la célébration de la Journée de Mondiale de l’Enseignant, le 28 décembre 2020, je disais : « J’ai eu la chance, et je pèse mes mots, de grandir dans un environnement familial, où dès le plus jeune âge on m’a inculqué des valeurs cardinales, à savoir : l’humilité, le respect d’autrui, l’ouverture aux autres -il n’y avait pas d’étrangers juste des inconnus- , l’intégrité, le travail, la résilience, et la recherche de l’excellence dans tout ce que l’on entreprend : se  donner les moyens d’atteindre ses ambitions, défendre sans compromission les idées auxquelles on croit et se battre pour ces dernières.  Ces valeurs se sont d’autant plus imposées à moi de façon naturelle, que j’ai eu le privilège de voir mon père, Iba Der THIAM, au sein de la cellule familiale, les incarner au quotidien. » 
 
Le fait de dénommer l’Université de Thiès, ville où en sa qualité de Coordonnateur de HGS, il a assisté pour la dernière fois à un séminaire de réécriture de l’Histoire Générale du Sénégal des origines à nos jours, Université Iba Der Thiam, nous va droit au cœur, prolonge son passage parmi nous et le grave dans la mémoire collective.   
 

Le symbole est d’autant plus fort, que comme le disait mon père lors de son allocution du 12 février 2018: « Aucune région autant que celle de Thiès ne résume mieux les différentes péripéties de notre Histoire politique, dont quelques-unes des pages les plus glorieuses ont été écrites dans cette province du Sénégal colonial, qui incarne la résistance à l’occupation étrangère et le combat libérateur inlassable mené par les patriotes pour la liberté, la dignité et la justice. »

Quel plus bel hommage pouvait lui être rendu, lui qui affectionnait tant le partage du savoir, le débat d’idées et la connaissance de notre Histoire afin de mieux nous connaître.

 
Très vite il avait compris que le savoir et le travail seraient ses seuls alliés et que cela lui permettrait de s’élever socialement. Dans un courrier daté du 25 Juin 1971, adressé à son épouse Thérèse Kattar, alors qu’il était emprisonné à cause de ses activités syndicales et qu’il passait sa licence en détention, il écrivait : « J’ai besoin de réussir cette troisième année de licence car je sais que cela sera le seul moyen de m’occuper mieux de toi et des enfants. Ce sera aussi le seul le moyen, de porter à concrétisation effective les projets que nous avons formés, dans la réalisation desquels nous sommes engagés… ». Dans le même courrier il rajoutait « … je veux réussir mon examen avec un bon rang et une excellente mention, afin de me prouver à moi et aux autres que je sais par mes propres moyens triompher de toutes mes difficultés. » 
 

Le 10 Juillet 1971, toujours depuis la prison de Rebeuss il écrivait à son épouse « J’attends avec anxiété les résultats de la licence……je ne sais pas si je réussirai dans les mêmes conditions que le certificat de spécialisation. Je peux cependant dire que j’ai donné le meilleur de moi-même. Le reste est entre les mains de Dieu. Je suis heureux quoiqu’il arrive de terminer cette année universitaire, décisive pour notre avenir et le bonheur de notre famille. … J’ai toujours voulu m’élever dans la hiérarchie sociale par mes seuls moyens et dans la dignité et dans l’honneur pour que tu sois fière de ton mari, et que nos enfants soient aussi contents de leur père. Je veux que tu puisses parler de moi avec bonheur et réconfort et que tu n’aies jamais honte de moi… ». Il obtiendra sa licence pendant sa détention, en étant major de sa promotion ; cela illustre son abnégation. Le message envoyé aux autorités qui l’avaient emprisonné était clair ; ils ne pouvaient altérer sa détermination à poursuivre sa quête de savoir.

Merci à tous ceux qui ont honoré sa mémoire dans cette année qui a suivi sa disparition, merci à tous ses collègues, amis et compagnons qui se sont montrés présents dans ces moments difficiles.

 
Merci à toi Papa, de nous avoir donné à Patricia et moi le bagage nécessaire pour mieux appréhender ce monde, merci d’avoir été cet humaniste radical assoiffé de savoir et de découvertes. Merci d’avoir partagé avec nous tes passions, ton engagement, ton amour et ta loyauté. Merci d’avoir veillé sur ta famille au sens large pendant toutes ces années. Merci d’avoir, avec Maman, accueillit à notre domicile nos cousins et cousines qui venaient faire leurs études à Dakar, et d’avoir élargi notre fratrie. Merci d’avoir façonné leur vie d’adulte et leur entrée dans la vie active : vous avez été pour Maguette Sylla, André Mendy, Mbaye Sow, Patrick Asseraf, Mor Diaw Thioub, Alain Asseraf, Dane Diakhaté, Moustapha Diakhaté, Mamadou Diakhaté, Ngoné Thioub, Adji Mergane, des points d’ancrage et des références. 
 
Certainement, les avis divergeront, sur le bilan de ton action, comme pour tout homme public et comme le veut l’exercice du sacro-saint débat démocratique, mais une chose est certaine, ton engagement, ta droiture, ton abnégation ne se seront pas remis en cause. 
 

L’empreinte que tu laisses dans ce pays et sur le continent, nous permet de continuer à t’avoir à nos côtés. Ainsi, aujourd’hui je fais mienne cette citation de Jonathan Swift : « Vivre dans le cœur de ceux que nous laissons derrière nous, ce n’est pas mourir ». Papa, tu restes et resteras à jamais parmi nous.

Kader THIAM
Awa  Patricia THIAM
Ibrahima Faye

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