Le procès de l’assassinat du président Thomas Sankara et de ses 12 compagnons a pris un tournant décisif hier mardi avec le début de l’interrogatoire des accusés. Le premier à passer à la barre est le soldat à la retraite Yamba Élysée Ilboudo, qui se présente comme « le chauffeur de la sécurité de Blaise Compaoré ». Il a été affecté comme chauffeur à la sécurité du capitaine de l’époque depuis qu’il était le chef de corps du CNEC, Centre d’entraînement commando de Pô.
Le 15 octobre 1987, Yamba Elysée Ilboudo raconte avoir fait partie du commando qui a pris d’assaut le Conseil de l’Entente peu après 16h et assassiné Thomas Sankara et 12 autres personnes. « Je reconnais les faits », a d’emblée déclaré le sexagénaire poursuivi pour assassinat et complicité d’attentat à la sûreté de l’État. « Un soldat, il a un chef qui le commande », a-t-il introduit. Il explique que le convoi est parti de la résidence de Blaise Compaoré derrière l’ancienne Assemblée nationale. « Hyacinthe Kafando m’a dit de démarrer, qu’on va au Conseil. Amidou Maïga a démarré la 405 blanche et moi j’ai suivi avec la Galant rouge », relate-t-il. Arrivés au Conseil de l’Entente, les véhicules auraient stationné d’abord devant la villa qui servait de pied à terre à Blaise Compaoré et sa garde. Hyacinthe Kafando serait entré, ainsi que tous les autres, sauf Yamba Elysée Ilboudo qui dit être resté dans la voiture. C’est 5 mn après, qu’ils sont revenus, qu’ils ont embarqué dans les véhicules et que Hyacinthe Kafando aurait ordonné de démarrer à nouveau.
Cette fois-ci, direction la villa où Thomas Sankara tenait une réunion avec plusieurs autres personnes. Mais à cet instant, l’accusé dit ne pas être au courant du projet. Selon lui, c’est Hyacinthe Kafando qui aurait attrapé son volant pour diriger la voiture vers le bâtiment qu’il désigne comme le secrétariat général du Conseil de l’Entente. « Il m’a dit d’aller là-bas, en tournant le volant. Il a dit “faut accélérer”. J’ai accéléré et je suis allé cogner la porte du secrétariat. Ils sont descendus et ils ont commencé à tirer », relate le chauffeur, qui précise qu’il était le seul à rester, cette fois encore, dans son véhicule.
Mais de là, il dit avoir vu le président Thomas Sankara sortir de la salle, suivi de Frédéric Kiemdé. « Y a quoi ? », aurait demandé Sankara sans obtenir de réponse. « Il a croisé Hyacinthe, Nadié et Maïga qui ont commencé à tirer. Je ne sais pas qui l’a touché en premier. Le président Sankara s’est écroulé sur les genoux avant de tomber sur le côté gauche », a confié Yamba Elysée Ilboudo devant le juge d’instruction, et il a maintenu ses propos cités par le parquet hier mardi devant le tribunal. Plus tard, il va même préciser que le président Sankara était en civil et qu’il ne portait pas d’arme.
Ce que le parquet militaire trouve curieux, c’est l’attitude de l’accusé tel que relatée, puisqu’il dit être resté dans son véhicule, qui pourtant a été endommagé après avoir percuté la porte du bâtiment, selon ses propres explications.
Ce ne serait qu’après l’échange de tirs que Hyacinthe Kafando lui aurait ordonné à nouveau de démarrer pour le retour. « Le radiateur est percé », dit-il avoir répondu. « Même n’étant pas commando, personne ne peut faire ça », lui a lancé un membre du parquet qui poursuit : « les autres ne peuvent pas être en train de tirer et vous, vous restez dans le véhicule alors que vous êtes en mission ».« Vous voulez nous dire la vérité mais vous voulez tout faire pour minimiser votre participation », a ajouté une autre.
L’avocat de la famille Sankara, Ferdinand Zepa, prenant la parole au nom des parties civiles a salué le courage de l’accusé : « Vous êtes le seul à s’être livré », dit-il. Mais au fil de ses questions, il trouve l’accusé plus dubitatif, visiblement fatigué, mais surtout réticent quand il s’agit de parler de Gilbert Diendéré.
L’accusé avait pourtant dit à l’instruction qu’il avait aperçu Gilbert Diendéré à leur arrivée au Conseil de l’Entente. « Il était debout devant ses hommes assis sur des bancs », avait déclaré Yamba. Devant le juge ce mardi, il dit ne pas se rappeler de ses déclarations. Il évoque même des séquelles d’un accident de 1989 qui aurait entamé sa mémoire…